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Nafissatou Thiam : Report, annulation, huis clos : et alors ?

“Brussels, Memorial Van Damme, Nafissatou Thiam” - Arian Zwegers | (CC BY 2.0)
“Brussels, Memorial Van Damme, Nafissatou Thiam” - Arian Zwegers | (CC BY 2.0)

Nafissatou Thiam n’est pas du genre à se plaindre. L’an dernier, quand elle perd son titre mondial des œuvres de sa grande rivale britannique, Katarina Johnson-Thompson, elle ne pipe mot sur sa blessure au coude qui a empêché un nouvel essai au javelot, soulignant qu’une médaille d’argent dans un championnat du monde, ce n’est déjà pas si mal. Une manière comme une autre de positiver, direz-vous ? Mais pas que.

Car chez ces gens-là, chez les Thiam, où un garçon et trois filles ont été élévé.e.s par leur maman, Danièle Denisty, enseignante de son état, on sait ce que se battre veut dire. « Avec un salaire de prof pour quatre enfants, c’était parfois dur. Mais je n’avais pas trop le choix », déclare cette dernière à Sudpresse.

Les Thiam ont quand même fait celui de quitter Bruxelles pour aller vivre dans un cadre un peu plus vert - et un peu moins cher - à Rhisnes, à côté de Namur. « On l’appelait « la Noire » dans la cour de récré », se souvient sa mère. Son orgueil et sa morphologie prennent rapidement le dessus. Et aujourd’hui, du haut de son 1,84m, on s’étonne qu’elle domine son monde, de la tête et des épaules.

Quand sa rencontre avec Roger Lespagnard, son entraîneur au FC Liège Athlétisme, la conduit à faire d’incessants allers et retours entre Namur et la Cité Ardente, elle s’accroche et fait (déjà) la fierté de sa maman. Elle quitte le nid familial pour vivre en kot dès l’entame de ses études universitaires afin de mener, de la meilleure manière qui soit, ses études et le sport de haut niveau.

Nafi reconnaît aujourd’hui que le service « Projet de vie », mis au point par la Fédération Wallonie-Bruxelles, lui a permis d’avoir les appuis nécessaires pour aménager ses études, comme si décrocher un diplôme de Bachelier en Sciences géographiques en cumulant des performances de niveau mondial dans sa discipline de prédilection coulait de source. Elles ne sont pas nombreuses les athlètes planétaires à pouvoir sortir un beau diplôme supérieur. « Parce qu’il y a une vie avant, après et à côté du sport », reconnaît-elle au micro de la télé régionale liégeoise. Parce que les mots « humilité » et « sérénité » font partie de son ADN. Parce que bon sang ne saurait mentir.

 

Au sommet de sa discipline

Nafissatou Thiam a aujourd’hui 25 ans. C’est une spécialiste de l’heptathlon, un concours de sept disciplines (100m haies, saut en hauteur, lancé du poids, 200m, saut en longueur, lancé du javelot et 800m), disputé en deux jours et apparu au niveau olympique en 1984. « Nafi », comme tout le monde l’appelle affectueusement, est championne olympique en titre (prolongé avec le report des Jeux de Tokyo), championne d’Europe et donc vice-championne du monde, sans compter ses nombreux titres belges.

Pour mieux situer encore, elle est l’une des quatre femmes au monde à avoir obtenu un total d’au moins 7000 points (7013 exactement), très proche de la suédoise Carolina Klüft (7032 points), qui a dominé la compétition à la fin de la première décennie des années 2000. Elle est encore assez loin des 7291 points de l’Américaine Jackie Joyner-Kersee, réalisés aux Jeux de Séoul en 1988, mais qui sentent encore le souffre aujourd’hui…

Roger Lespagnard ne mange pas de pain-là. Lui, c’est plutôt sueurs et larmes mais avec le sourire du connaisseur. Et une stratégie des petits pas qui font les grands succès. « Quand Nafi est arrivée chez moi, on a conclu un deal, celui de la laisser terminer ses études supérieures. Pendant 6 ans, elle est allée à l’école le matin avant de venir à l’entraînement le soir. Johnson-Thompson (sa principale rivale, ndlr), j’en suis sûr, a pu s’entraîner beaucoup plus qu’elle, surtout en course. » Le ton est donné. Interrogez-les sur le confinement, le report des Jeux ou le huis clos du Memorial Van Damme et vous obtiendrez la même réponse : « et alors ? ». Sous-entendu : c’est le même prix pour tout le monde. Et la santé n’a pas de prix.

 

Par Philippe Vandenbergh

Cet article est tiré de la Revue W+B n°149